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UN PEU DE TOUT - Page 34

  • La langue que j'ai tant aimée...

    Mes oreilles vous ont caressées

    Langue de velours

    Adjectifs sensuels mots d’amours

    Mon ouïe s’est ébaudie à votre truculence

    Verbes incisifs sujets jouissifs

    Ne vous cachez pas dans les limbes

    D’une tête chenue

    Ô chaînes humaines

     

    Ma bouche formait les voyelles

    D’une divine expression

    Mes lèvres embrassaient les consonnes

    Lorsque la verve m’entourait

    Ma langue se posait sur elles

    Au plus fort d’une fantaisie

    Mes dents les sifflaient

    A l’appel d’une imagination

     

    Las vous vous êtes raidis

    Contre un corps en déliquescence

    Je vous cherche sous mon esprit embrumé

    Phrases enroulées expressions cinglantes

    Mes paroles se réduisent au râle

    D’un désespoir qui racle ma gorge

    Lorsque votre indifférence humiliante

    Me confond avec un muet

     

    Je voguais majestueusement

    Au fil d’un univers sonore

    Je roulais sur les mots

    Pour atteindre les rives d’autrui

    Je frappais à l’aide de l’alphabet

    Bien des méchancetés

    Ma passion brûlait les lettres

    Autour d’un feu oratoire

     

    Je me morfonds au pays du silence

    Ici nul ne vous connaît

    Mais la langue que j‘ai tant aimée

    Fleurit auprès des vivants

     

    David Frenkel (Publié aussi sur le site De Plume en Plume)

     

     

     

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  • Les ailes maternelles

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    Le gazouillement de l’enfant

    Réjouissent mes oreilles

    De l’extraordinaire câlin

    Me charriant dans l’insouciance

    D’une bourgeonnante jeunesse

    Qui pépie innocemment.

     

    Mon enfance alors se déverse

    Sur l’archipel des souvenirs

    Où mon âme se repose

    Avec une candide allégresse ;

    La comptine me traverse

    En pépinière de tendresse.

     

    Le sourire d’un baiser

    Collé sur les joues maternelles

    Perle l’authentique candeur

    Une gerbe de sentiments

    Puérilement naïf

    Fleurit sa relation filiale

     

    Un rayon de nostalgie

    Darde sur mon âme vieillotte

    Les risettes de mon jeune âge

    Pleuvent sur mes journées grises

    L’astre de mes tendres années

    Brille sur l’être condamné

     

    Une cataracte de larmes

    Répandent l’enfantine alarme

    Quand l’existence dégaine

    Son lot d’exigences spontanées

    Sur le petiot abandonné

    Dans la solitude misérable

     

    Ô ailes maternelles

    Vous déployez l’affectivité

    ardente séchant tant de larmes

    Je languis après cette déesse

    Étendant ses branches charnelles

    Sur mes larmoyantes prunelles

    David Frenkel (Publié aussi sur le site De Plume en Plume qui a fait l'illustration)

  • La saison des amours

           Lassé par les sempiternelles guerres que les hommes ne cessaient de provoquer, écœuré par les relents de leur cruauté, Eros ne supportait plus ces créatures qui se disaient intelligentes. Il cherchait la cause de leur comportement agressif. Il vint à la conclusion que la volatilité amoureuse, le manque d’affection et l’inassouvissement des désirs en étaient le motif. La peur de ne jamais pouvoir posséder autrui pouvait expliquer le tempérament agressif de certaines personnes. La recherche du pouvoir, la domination inique, le sadisme et la perversité étaient le résultat d’un manque d’amour, d’une insatisfaction existentielle. Chez les gens d’un certain âge, l’angoisse de la mort pouvait aussi déclencher une sexualité qui forçait à la prostitution : ils confondaient ardeur des sens et disposition favorable à l’égard de leur semblable. Ne pouvant mettre sous l’éteignoir l’instinct sexuel dont la fonction est procréatrice, Eros prit alors deux grandes décisions qui allaient révolutionner l’humanité. En premier lieu, il créa un abcès de fixation sous forme d’une saison des amours, lors de laquelle les désirs chez les humains s’épancheraient sans vergogne. Il décida en outre que cette liberté serait régie selon la loi du plus fort, comme chez les mammifères du rang inférieur ; parmi eux, le plus faible s’incline sans broncher devant celui que la nature a gâté. Eros voulait que chaque tuerie ait un sens ; il fallait qu’elle préservât l’espèce ; sa préservation était conditionnée par la satisfaction des instincts ; l’homme devait, le temps d’une saison, ne plus être le maître de sa sauvagerie afin que toute la bassesse humaine puisse se vider et ne plus se manifester le restant de l’année. Un être satisfait est quelqu’un de pacifique. Aussi, ce dieu sensuel voulait jouir de la lascivité des hommes faits à son image sans exception. Durant la saison des amours, l’intellect s’assoupissait, tout sentiment était anesthésié. L’art, les belles paroles n’avaient plus cours durant cette période ; le charnel influençait donc les esprits sans aucune fioriture. La jalousie, ainsi que les autres défauts caractéristiques des êtres humains, n’avaient plus leur raison d’être car chacun avait trouvé chaussure à son pied. Hommes et femmes s’accouplaient sans retenue ; la terre devenait pour l’occasion une vaste alcôve. Celui qui avait dû céder sa place devant le plus fort ne raisonnait pas et se satisfaisait de son sort. Si quelqu’un avait l’instinct trop développé, il était définitivement perdu. Il arrivait à certains couples de demeurer unis durant toute la saison, non par amour mais pour écouler leur trop-plein de sensualité.

                A l’équinoxe du printemps, l’atmosphère se remplissait de passion. Les gens jetaient leur parure chaste aux orties. La clarté ambrée des journées printanières, les arbres en fleurs, le ramage des oiseaux les amenaient à s’épancher sans retenue. Réduites à l’état de bourgeon les trois quarts de l’année, les parties écloraient au printemps. Sous les impulsions d’un hâle féminin, d’un poil masculin sortant des chemises, d’une gorge mise à nu, d’une cuisse d’homme musclée se pavanant dans les rues, la concupiscence se déversait sur le premier venu. Certes, certaines accointances se nouaient plutôt avec les uns qu’avec les autres selon les lois de la chimie, mais le dénominateur commun de toutes les relations humaines, c’était l’appât de la chair. On était entré dans la saison des amours. Ce mot sous-entendait fougue, emballement et force avant tout. Les plus forts étaient les premiers servis ; ils avaient droit aux morceaux les plus appétissants. Les plus faibles devaient se contenter du menu fretin. Les femmes remplissaient un rôle particulier. Eros leur demandait d’appâter les hommes, d’être aguichantes. Oh, ne croyez pas que la gent masculine appréciait la beauté, la gracieuseté, l’intelligence, l’humour ou la sensibilité du sexe opposé. Nenni. Tout ce que les hommes exigeait des femmes, c’était d’avoir des formes, de la plastique. L’ardeur féminine se déversait durant cette saison sur le premier mâle qui se présentait à elle. Le mâle s’en donnait à cœur joie car la saison des amours lâchait la bride à la passion afin que le monde se multiplie. A la fin de chaque premier trimestre, la femme la plus souvent fécondée devenait la reine de la gent féminine. Elle menait les affaires du monde durant une année. Les autres avaient un statut de princesse auxquelles un rang honorifique était attribué ; ce rang dépendait du nombre d’amants qu’elles avaient eu. Éros était en charge de désigner la reine. L’heureuse élue s’élevait au nonantième jour du trimestre dans les airs et faisait le tour du monde, coiffée d’une couronne de diamants qui scintillait à milles lieues. Ces étincelles d’un blanc bleuté avaient le pouvoir de plonger le monde en extase ; l’état euphorique qui durait vingt-quatre heures mettait fin à la saison des amours. Les princesses exécutaient les ordres de la reine et gouvernaient sur la longitude et la latitude que la reine leur avait attribuée. Elles avaient le loisir de nommer qui bon leur semblait pour veiller à l’ordre et au bon fonctionnement de la région. Ni les hommes, ni les femmes ne travaillaient durant ce tiers de l’année ; les uns étaient trop occupés à se battre et à honorer les femelles, les autres devaient se tenir prêtes à recevoir la semence des mâles. La progéniture était laissée au soin des mères car les pères, aussitôt leurs actes accomplis, s’en allaient à la recherche d’autres conquêtes.

              Les gens vivaient en paix après la saison des amours car la lubricité ne les excitait plus ; ils se partageaient alors entre eux les fruits de la terre et de leur travail ; l’éducation des enfants ne posait donc pas de problème. De plus, ils ne reconnaissaient plus leurs concubines après la saison de l’excitation.

              A cette époque, les individus, sans distinction de sexe, vivaient naturellement jusqu’à cent vingt ans. On ne connaissait pas les affres de la vieillesse car l’humain gardait l’aspect et la vigueur de ses vingt ans jusqu’à son trépas. On mourait seulement à la saison des amours. Les Parques couvraient alors d’un baiser les personnes dont la vie devait s’achever. Ce baiser de mort était si voluptueux que l’esprit, plongé dans une extase profonde, se détachait du corps et se fondait dans l’éternité. C’est pourquoi, chacun, chacune, attendait sa fin avec impatience.

              Un jour, Zeus visita la minuscule planète Terre qu’il avait oubliée dans l’immensité de l’Univers. Il n’était pas content de l’œuvre d’Eros. Il vit cette planète pulluler d’êtres qui ne pouvaient plus manger à leur faim ; la nature ne pouvait plus produire suffisamment de nourriture pour toutes les créatures humaines qui s’étaient multipliées durant les saisons des amours. En outre, la vie des gens se prolongeait car les Parques n’arrivaient plus à faire mourir durant une seule saison celles et ceux qui devaient s’en aller. La loi de la nature dota alors l’être pensant d’un nouvel instinct de conservation, le cannibalisme. Il permettait aux plus vigoureux de survivre. Zeus prit Euros à témoin et vitupéra : « La plus grande partie de ton ardeur, tu l’as déversée sur les hommes et non sur les animaux car la concupiscence des humains est saupoudrée de ton âme que tu te plaisais à faire jouir durant la saison des amours. Regarde donc ce que ce monde est devenu. Je ne peux plus maîtriser l’instinct cannibale que tu as ensemencé. Je me suis laissé berner par tes chimères. De plus, qu’as-tu fais de cet amour qui se nourrit d’esprit, d’intelligence, de grâce et de beauté ; de ce sentiment de magnanimité qui élève l’humanité, de cette sensation qui pousse à la folie, de cet état qui provoque l’extase ? Mais où est donc passé cet amour aux multiples contours, aux innombrables aboutissements ? Certes, en rendant aux hommes leur sexualité intemporelle, on peut engendrer une frustration qui les précipite dans la turpitude, l’homme se plaçant alors au niveau inférieur de la bête. Mais l’insatisfaction peut aussi pousser l’individu à la transcender en cultivant l’amour du prochain, la compassion, le pardon. Cesse de vouloir améliorer la nature. Elle est par essence imparfaite. La noblesse prend ses racines dans l’ignominie comme la naissance puise son énergie dans le gâchis. Tant de graines, tant de semences se perdent avant que l’une d’elles engendre une fleur, un mammifère. Tant d’actes vils conduisent aux gestes nobles. Que vais-je donc faire de cette humanité cannibale ? » La colère de Zeus fut si grande qu’il n’arrivait plus à se contrôler ; sa foudre fit trembler toute la planète. Tous les dieux furent terrorisés et particulièrement Poséidon, qui ne contrôla plus durant un court instant son élément. Les mers et les océans débordèrent et submergèrent la majeure partie des continents. Un nombre restreint de vivants survécurent à ce cataclysme. Les hommes n’étaient pas endeuillés car aucun lien affectif ne les avait liés à une quelconque famille. Seules les femmes, qui avaient l’instinct maternel, portaient le deuil. Même à la saison des amours, leur tristesse, leur prostration avaient raison de leur ardeur. Elles ne laissèrent aucun mâle s’approcher d’elles. Eros n’avait pas prévu cette situation. Il n’avait jamais poussé les mâles au viol. Aussi, les mâles s’en allaient penaud, en attendant des jours meilleurs. Un beau jour d’automne, un homme vit à sa plus grande surprise une femme lui faire des yeux doux. Elle avait surmonté sa détresse. Les feuilles des arbres à la couleur dorée, le vin d’une vigne gorgée de soleil, la lueur voilée de l’arrière-saison avaient réveillé une sensualité enfouie dans ses entrailles. Ses mamelons enflaient, elle avait besoin de se donner à un homme. Sa passion devenait contagieuse car, peu à peu, d’autres femmes aussi cherchaient de la compagnie. Comme on était en dehors de la saison des amours, la gent féminine devait rivaliser d’ingéniosité, afin que l’homme retrouve l’envie. Elle rendit leurs lettres de noblesse au charme, à la finesse, à la tendresse. La gent masculine était ainsi entraînée par un sentiment que le monde avait oublié, l’amour qui se joue des vicissitudes et des contingences, l’amour qui est attiré par ce que l’on ne peut saisir, par ce qui est impossible de formuler ou d’imaginer.

              Une nouvelle ère s’ouvrit. L’humanité retrouva ses qualités et ses défauts premiers. Le grand mérite de Zeus était d’avoir eu cette sainte colère qui rendit aux hommes leur libre- arbitre amoureux, leur place originelle auprès de Dame Nature.

    David Frenkel (Publié aussi sur le site De Plume en Plume sous le pseudonyme Benadel)

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