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UN PEU DE TOUT - Page 30

  • Les contrastes en photo

    Une figure pleine de vie

    Dardant d’une photo

    Des éclairs de jeunesse

    Est un symbole d’éternité

    Des yeux remplis d’optimisme

    Déverse cette sûreté fière

    De la photographie

    Défiant des annales du temps

    L’apparence ironique

    Des lèvres bien en chair

    Incrusté dans un cliché

    Suinte l’intemporel

     

    Un visage ratatiné

    De vieillesse photographique

    S’emmêlent d’éternelle froideur

    Dans les filets de la camarde

    Des mirettes hagards

    Font sombrer la photographie

    Dans la pérennité vieillissante

    S’enténébrant aux nuits des tombeaux

    La bave d’une bouche

    Imprègne le cliché

    De sombre sénescence

    Se mourant perpétuellement

     

    Si l’on pouvait affubler

    Une figure juvénile

     

    D’une tête photographiée

    A l’hiver de la vieillesse

    Le jeune homme s’engouffrerait-il

    Dans le tunnel du néant

    S’ouvrant sur la nuit éternelle

    Si l’on pouvait endimancher

    L’apparence ridée

    D’une frimousse clichée

    Au printemps de la jeunesse

    Le vieillard s’aventurerait-il

    Dans le ciel débouchant

    Sur l’Éden éternel

     

    Les contrastes en photo

    Font jaillir des flux contradictoires

     

    David Frenkel (Publié également sur le site De Plume en Plume, sous le pseudonyme Benadel)


  • L'oiseau, le quiproquo

          Comme beaucoup de ses concitoyens, Madame Antunes avait quitté le Portugal. Elle s’était installée à Genève et y vivait depuis deux mois. Elle n'avait eu aucune peine à trouver le poste qui lui convenait. De plus, un ami portugais qui avait ses entrées dans une importante régie de la place, lui avait trouvé un petit appartement. Afin de parfaire un français balbutiant, elle avait répondu à une annonce proposant des cours particuliers. Il s'était trouvé que l'annonceuse était sa voisine de pallier, Madame Chappuis. Un matin, Madame Antunes tomba sur celle-ci, elle avait l'air soucieuse et se pressait à l'étage.

     ‒ Bonjour Madame Chappuis, où courez-vous comme ça ?

      Je vais récupérer l'oiseau.

     ‒ Ah bon ! Je ne savais pas que vous possédiez un oiseau.

     ‒ Eh oui, et un oiseau de nuit en plus.

     ‒ Ça existe ?

     ‒ Bien sûr, il n'y a qu'à se promener dans certains quartiers chauds, et vous en verrez plein. Puis elle la planta là.

           Madame Antunes resta clouée sur place, tant les propos de sa voisine l'avaient surprise. Pourquoi l'oiseau n'avait-il pas été en cage ? Et où avait-il bien pu se nicher ? Elle ne gardait quand même pas l'oiseau dans la salle de bain du studio ou dans les WC. Si oui, elle l'aurait entendu. Et c'est quoi les quartiers chauds ? se demandait-elle. La quinte de toux d'un vieillard se traînant vers l’ascenseur interrompit brusquement le cours de ses réflexions. Elle descendit avec lui et se rendit au troquet du coin pour avaler, comme chaque matin, son petit noir et lire les journaux. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, empruntant le chemin du retour, elle croisa Madame Chappuis flanquée d'un homme parfait sous toutes les coutures. Le front bombé, les yeux bleu ciel, la bouche fine au lèvres bien dessinées et la taille diablement bien proportionnée répondaient aux canons de beauté masculine qui faisaient florès en ce début du XXIème siècle. Madame Antunes, dont le visage sillonné des rides de la quarantaine reflétait une profonde personnalité, ne pouvait faire abstraction des rivalités entre femmes. Elle ne pu s'empêcher de pointer dédaigneusement ses petits carreaux sur sa voisine. La vénusté de celle-ci devenait pour elle transparente. Elle ne vit pas les cheveux d'or tombant gracieusement sur les épaules ; elle ne fut pas ébloui par les mirettes qui lançaient des éclairs de soleil à travers ce bistrot borgne et elle n'observa non plus la bouche coquine aux lèvres boudeuses qui semblait narguer les clients la regardant avec concupiscence.

      Alors, Madame Chappuis, avez vous retrouvé l'oiseau ?

      Oui, oui, répondit-elle évasivement.

      Allez ! Montrez-moi, le petit oiseau !

      Mais, je vous en prie, Madame, lui répondit le jeune homme, d'un air offusqué.

           Un brin embarrassée, Madame Chappuis, pour se donner contenance, tira le jeune homme par le bras et dit d'une voix pressante : « Excusez-nous, le vieux hibou nous attend, nous devons l'emmener chez le médecin, on vous laisse. »

           Interloquée, Madame Antunes se demandait si un esprit malin ne l'avait pas transportée dans un monde de fou. Elle regagna sa demeure en se traînant comme un zombie. Arrivée au bas de l'immeuble, elle trébucha sur une des marches de l'escalier menant à la porte d'entrée ; le concierge, qui était aussi d’origine portugaise, passait justement à côté d'elle avec l'aspirateur à main. Il la rattrapa avant qu'elle chute.

     Dites donc, qu'est ce qui vous arrive ? Vous me paraissez bien perturbée.

     Depuis ce matin, on ne me parle que d'oiseaux, c'est à se demander s'ils sont tous devenus, comme par magie, des hommes-oiseaux.

     – Cela m'étonnerait car cela demande beaucoup d'entraînement, lui répondit pensivement le concierge.

     – Alors, Madame Chappuis, elle s'est moquée de moi ?

     – Non, non, c'est simplement une drôle de poule.

     – Comment ça, une drôle de poule ? Mais, qu'est ce qui m'arrive ? se demanda Madame Antunes en se mettant la main sur le front avant de tourner les talons.

           Elle monta chez elle en courant, se rua dans sa chambre, se jeta sur son lit, les mains à ses tempes et la tête enfouie dans un coussin. Soudain, elle sursauta, un moineau apeuré, qui était entré par la fenêtre ouverte, volait en tous sens en se cognant contre les murs et le plafond. Affolée, elle se précipita sur le pallier et cria : « Oiseau dans ma chambre ». Le concierge, qui s'apprêtait à passer l'aspirateur, la calma en lui disant. « C'est bon, je m'en occupe ». En moins de temps qu'il ne faut pour le dire,il guida l'oiseau avec un balai vers la sortie.

     – Allez, Madame vous pouvez rentrer, le vilain moineau est parti.

     – Je n'ai pas dit qu'il était vilain, mais il me faisait peur, renchérit-elle toute confuse. Je dois vous paraître folle, mais depuis ce matin, comme je vous l'ai dit, on ne me parle que d'oiseaux.

     – J'espère que personne ne vous a donné des noms d'oiseaux, ne vous a insulté.

     – « Insultar » ? Oh non, mais moi pas comprendre,vous me parlez d'une drôle de poule, Madame Chappuis cherche un oiseau de nuit et elle revient avec un beau jeune homme ; je lui demande de me montrer son petit oiseau, le jeune homme se fâche ; puis elle me dit qu'elle doit partir visiter un vieux hibou, et voici qu'un moineau arrive dans ma chambre ! Il y a de quoi devenir « tarès ». Le concierge se tenait les côtes. Il retrouva son rieux que lorsque Madame Antunes éclata en sanglot, pensant qu'il se gaussait d'elle. Il l'entoura affectueusement de ses bras et lui dit :

     – Vous savez, j'ai des yeux et des oreilles qui traînent dans l'intimité des locataires. Madame Chappuis est une drôle de poule, une mère qui protège beaucoup son enfant, elle s'inquiète s'il ne rentre pas à l'heure et qu'elle ne peut l'atteindre sur son téléphone portable. Le prénommé Robert travaille la nuit ; il fait partie du Groupe Sida Genève ; il circule en bus dans les rues où les gens vendent leur corps.Il les accueille et les aide à se protéger contre la maladie. Souvent, après le travail, il se rend chez un ami. La maman appelle son fils « mon oiseau », c'est un « termo afectivo ». Chaque matin, les deux rendent visite à leur cher vieux hibou, un monsieur qui a maintenant quatre-vingt-deux ans et est immobilisé dans une chaise roulante. Ils lui font ses commissions et lui servent parfois de chauffeur. Ils l'appellent ainsi parce que, lorsqu'il était plus jeune, il se tenait toujours à l'écart des autres personnes. La maman et le fils sont vraiment inséparables.

     – Je comprends la maman, mais le fils, n'a-t-il pas une copine ?

     – Il est de l'autre bord, comme on dit aussi en portugais « gay » il est gai comme un pinson lorsqu'il s'envole vers le joli merle.

           Madame Antunes ne comprit pas la signification du mot pinson. Mais cela ne lui importait guère, car elle était agitée par un trouble exquis. Les bras qui l'avaient entourée avaient aussi ceint son cœur. Aussi l'invita-t-elle à prendre un café chez elle. Au fil du temps et de fils en aiguilles, gazouillant passionnément dans leurs demeures, le rossignol de Cupidon leur construisit un nid d'amour. Et les deux, transformés en tourtereaux se promenèrent le long de lendemains qui chantaient.

    David Frenkel (Nouvelle publié également sur le site De Plume en Plume sous le pseudonyme Benadel)

     

     

  • Un hiver divin

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    Le froid hiver qui somnole

    Dans les arbres défeuillés

    Les couvre des auréoles

    D’un ciel de blanc émaillé

    Mais quand les arbres en sang

    Feront couler leur vigueur

    Les flocons évanescents

    Feront place à la langueur

     

    L’hivernage enveloppant

    Des horizons asséchées

    Imprégnant de pluie des pans

    De territoires tachés

    De sécheresse chronique

    Désaltère avec le vin

    Des nues la terre tonique

    Savourant l’hiver divin

     

    La blanche saison s’enterre

    Dans un monde printanier

    L’Ellébore solitaire

    Fleur qui n’est pas au panier

    Éclaire de couleurs vives

    La pâleur du dieu soleil

    Son exhalaison ravive

    L’être sous le froid vermeil

     

    L’habit lilial de l’hiver

    Couvre les déclivités

    Elle habille les devers

    De blanche frivolité

    Tant et tant d’amusements

    Résonnent dans les descentes

    Sur les ors du firmament

    Les joies sont effervescentes

     

    C’est durant l’hibernation

    De la créativité

    D’un printemps en gestation

    Que la Sainte Humanité

    C’est aux hommes révélée

    Dans un univers glacé

    Se suspend l’âme étoilée

    Que Noël vient enlacer

    David Frenkel (Publié également sur le site De Plume en Plume sous le pseudonyme Benadel, et qui a fait l'illustration)