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UN PEU DE TOUT - Page 282

  • Tribulations autour d'un piano

    Le piano devant lui se dresse
    Telle une de ces tigresses
    Attendant qu’un artiste la caresse
    Pour avaler comme une ogresse
    Sa très grande virtuosité
    En le harcelant de difficultés
    Que des touches grandement futées
    Vont dans un silence présenter.

    Le pianiste s’avance
    Et fait sa révérence.
    Un public bigarré applaudit sans outrance
    Car, déjà, le chef exhibe son fer de lance.
    Le soliste au front haut
    Au visage rond, palot,
    Fonctionne dés à présent en vase clos.
    Il s’assied sur le tabouret du piano.
    Son beau jeu pianistique me captive,
    Malgré tout je reste sur le qui-vive ;
    Un goût amer monte de ma salive,
    Mon Dieu, pourvu que rien ne lui arrive !
    Il sort un à un les sons
    De très belle façon
    En provoquant un gigantesque frisson
    Quand il plonge les deux mains à l’unisson
    Dans la gorge du grand félin
    En neutralisant son venin,
    Il était grand temps de le prendre en main.
    A présent, ce téméraire baladin
    Peu exécuter d’un pas de danse
    Un morceau à très vive cadence
    Sur cet instrument très dense
    En montrant l’outrecuidance
    Qui suinte de ses longs doigts agiles;
    La bête est maintenant fragile,
    Elle n’arrive point à bout des vigiles
    Quand le pianiste chante l’Évangile.
    En annihilant les dissonances
    Il nous fait don d’une performance
    Étouffant dans l’œuf les manigances
    De l’animal muré dans le silence.

    Le musicien, telle une chaloupe,
    Se balance, il a le vent en poupe.
    Il fait chavirer le cœur de ses troupes
    Pour finir par les prendre en croupe
    Et les transporter au pays de cocagne,
    Là où l’amour est leur fidèle compagne
    Et où la félicité les accompagne
    En illuminant leur très vaste campagne.

    Comme une femelle en rut
    Elle veut s’accaparer de l’ut
    Afin que le pianiste culbute
    Et fasse une terrible chute.
    Mais, comme dans la Flûte de Mozart,
    Le virtuose supplie les dieux lares
    De lui éviter vraiment tout écart
    Qui pourrait préjudicier à son art.
    Ils exhaussent ses prières;
    Sa musique, tel un lierre
    Grimpe, adhère de belle manière
    Dans notre humeur primesautière
    Pour embellir le mouvement lent
    D’un bel canto gracieux et galant;
    Le fauve est envoûté par un tel talent,
    Il devient du coup terriblement nonchalant
    Et n’est plus du tout obsédé par sa fringale;
    Le concertiste peut entamer le final,
    Pour le public c’est un régal,
    Ce pianiste n’a pas d’égal.

    Les gens, debout, applaudissent ce virtuose
    Qui est venu à bout de cette grande chose
    Et a fait vivre avec eux Dieu en symbiose
    En distillant une passion à haute dose.

    Le public en a eu pour ses écus.
    Revenons à la tigresse vaincue :
    Elle demeure fortement convaincue
    Qu’un jour les autres n’auront pas survécu.

     

  • Lutter contre les émissions du CO2, mais encore...

    Il conviendrait de relever une certaine hypocrisie dans le traitement de l’urgence climatique. Toutes les mesures que l’on voudrait prendre pour lutter contre le changement du climat, qui est par ailleurs contesté par des scientifiques (https://www.wikiberal.org/wiki/Listedescientifiques_sceptiques_sur_le_réchauffement_climatique), ne serviraient à rien, si on ne lutte pas contre les autres sources de pollution qui nous empoisonnent lentement mais sûrement. Vouloir réduire les émissions CO2 émise par les transports, l’agriculture, les bâtiments et les déchets, sans vouloir en faire de même pour la fabrication et l'utilisation de nos smartphones, seraient un coup d’épée dans une eau déjà bien polluée. Dévoilons ce que les manifestants écologistes ignorent ou refusent de savoir. Un article paru sous le lien https://www.phonandroid.com/le-vrai-cout-de-fabrication-de-nos-smartphones-pollution-esclavage-conflits-armes.html nous apprend que les besoins en smartphone suivant une courbe exponentielle, leur fabrication génère à la fois l’appauvrissement des sols, le traumatisme des écosystèmes alentours, la pollution. Les matériaux utilisés sont non-renouvelables, c’est-à-dire que nos civilisations ont un stock déterminé de ces différentes ressources, et qu’il n’y en aura pas plus (techniquement, ses ressources se renouvellent aussi, mais leur genèse se fait à une échelle de temps géologique et donc négligeable à l’échelle de la civilisation). Sans parler des aimants qui composent les smartphones, la production de néodyme génère de grandes quantités de déchets, ce qui est d’autant plus dramatique que ces derniers sont particulièrement nocifs. Ainsi, chaque tonne du matériau fabriquée produit une tonne de déchets et 75 000 litres d’eau polluée. L’intégralité de cette eau nocive est simplement déversée dans ce qui est littéralement un lac de rejets, recevant 600 000 tonnes annuelles de résidus. Les conséquences sont une radioactivité très élevée dans les environs et une contamination des sols. Une analyse de l’eau extraite dans ces sols dévoile un mélange toxique d’Arsenic, Lithium, Manganèse, Strontium et Sodium, de taux d’Uranium 6 fois au-dessus de la norme, et les sulfates 10 fois supérieurs à ce qu’impose la réglementation européenne.

    Pendant l'utilisation du smartphone, c'est la consommation d'énergie qui a la plus importante incidence. Car pour recharger la batterie, une connexion du chargeur à un réseau électrique est nécessaire. Or cette électricité est en grande partie obtenue à partir, encore une fois, de ressources non renouvelables (https://www.jechange.fr/telecom/mobile/news/environnement-smartphone-11-04-2018-4394)

    Par conséquent, au lieu de prendre des mesures contre le réchauffement climatique qui sont comme un emplâtre sur une jambe de bois face aux nombreuses pollutions qui affectent l'humanité, traitons les problèmes des polluants à bras le corps. Que les partis des verts nous informent de la nocivité qu'engendre les confections et l'usage des smartphones, que les autorités promulguent la réduction des pesticides, du plastique, des trafics des avions (taxer les billets d'avion sans réduire la circulation aérienne est sans grand effet, voir mon billet un permis de pollution), par exemple. Et ce ne sont qu'aux prix de nos petits conforts que les fléaux menaçant notre planète pourront être vaincus.

  • Nouvelle (II)

          Femmes d'ici et d'ailleurs

     

          Loïc, un Breton de sixième génération, était entré en informatique comme on entre dans les ordres. Lui aussi avait prononcé les trois vœux, à savoir : obéissance, chasteté et pauvreté. Il se pliait sans cesse à la volonté binaire d’une machine. Entièrement dévoué à la rationalité programmée, la volupté hasardeuse ne l’intéressait guère. Si le fruit de son labeur avait une forme rondelette, l’esprit de cet homme était, pour le moins, un cube de misère. Un jour, Loïc fut en proie à des douleurs lancinantes ; n’y tenant plus, il se rendit au service des urgences d’un hôpital. Les examens révélèrent la présence d’une tumeur dans le cerveau. Lorsque le médecin lui en fit part, la voix lui parvint ouatée, tant l’angoisse bourdonnait dans ses oreilles. Saisi par l’effroi, il s’évanouit. Lorsqu’il reprit connaissance, deux infirmières l’entouraient, une Parisienne et une Martiniquaise.

          Elle s’appelait Océane et avait un visage d’ange mais un physique ingrat. Elle naquit en France mais avait gardé son passeport martiniquais. Ses grands-parents avaient quitté la Martinique après l’éruption volcanique de mille neuf cent deux. Ils étaient en train de se baigner dans une rivière lorsque la nuée ardente déferla sur la ville, saccageant tout sur son passage. C’est ainsi qu’ils eurent la vie sauve. Après la catastrophe, ils avaient décidé de se rendre en Métropole pour y refaire leur vie et s’étaient établis en Alsace. Océane était une personne soumise. Elle portait l’esclavage de ses ancêtres, et avec lui, une révolte étouffée par la couleur de sa peau. On avait beau la traiter de négresse, elle ne bronchait pas. Cependant, en filant le parfait amour auprès d’un Congolais, elle prit de l’assurance et ne se laissait plus injurier.

          Les préjugés à son égard la poussaient à se faire une place dans la société. Fille intelligente, elle obtint son diplôme d’infirmière en noircissant une feuille blanche avec des bonnes réponses. L’allégement des souffrances d’autrui lui servait d’intégration sociale et mettait du baume sur les plaies saignant encore sous le poids de maintes offenses.

          Francine était française de souche, avait des formes gracieuses mais un visage aux traits grossiers. Son père était un homme politique qui avait perverti son idéal altruiste en se mettant au service d’une ambition opportuniste. Sa mère, veuve d’un premier époux, au bénéfice d’un douaire, cultivait le m’as-tu-vu et évoluait dans un milieu où la richesse permettait de mettre à nu la niaiserie des parvenus. Francine désirait prendre le contre-pied de cette société dans lequel profession rimait avec possession, elle voulait exercer un métier au service de son prochain, où l’argent ne tiendrait pas le premier rôle. Elle décida de devenir infirmière. Il lui semblait que cette profession l’élevait aux premières charges; cela la consolait des déconvenues amoureuses. Certains messieurs la prenant, lorsqu’ils avaient faim, pour un amour cinq étoiles, se délectaient de ses appas. Mais aussitôt sortis du lit, lorsque l’ardeur prenait de la hauteur, ils la laissaient en plan. Le visage de Francine ne les incitait guère à se pavaner avec elle au grand jour et en public. Le contraste entre son corps fait au moule et son visage difforme n’avait même pour l’amour pas de solution. Pourtant, son mal de tête en avait une. Le scanner crânien, fait peu avant celui de Loïc, ne révélant aucune tumeur, ses douleurs pouvaient être traitées médicalement.

          Les deux jeunes femmes, diplôme en poche, avaient été affectées au service de réanimation. Elles avaient le même âge. Si leur condition amoureuse les séparait, le pieux dévouement les unissait.

    – Ça va, Monsieur ? demanda Océane.

    – Comme un homme qui se voit mourir, répondit Loïc d’une voix implorante. Devant lui, le visage d’ange de la jeune femme lui donnait envie de prier.

    – Allez, ressaisissez-vous, Monsieur, tonna Francine ; tant que votre cœur bat, vous n’avez pas le droit d’abdiquer, ajouta-t-elle d’une voix de maîtresse d’école en se penchant vers lui.

    – Oui, je vous le promets, dit-il cette fois haut et fort. La poitrine pleine de Francine avait fortifié sa voix.

    – Venez nous voir une fois par semaine, le vendredi en fin de journée, nous vous attendrons, Francine et moi, jusqu’à dix-neuf heure, ajouta Océane.

          L'homme fit un rêve merveilleux. Sa tête reposant sur les cambrures de Francine, il vit le sourire d’Océane déchirer la camarde.

          Loïc ne pouvait se résoudre à suivre un traitement qui allait changer sa personne. Il voulait rester lui-même jusqu’à la fin de ses jours. Si l’héroïque soldat désire mourir les armes à la main, pourquoi lui, le vaillant programmeur, ne pouvait-il pas expirer la souris dans la main ? s’interrogea-t-il. L’oncologue lui demanda s’il était alors d’accord de se laisser régulièrement radiographier pour suivre l’évolution de sa maladie ; cela pourrait servir aux étudiants en médecine. Il acquiesça.

          Quinze jours s’écoulèrent. L’oncologue en examinant le scanner que Loïc venait de passer était estomaqué : il n’y avait aucune trace de tumeur. Il était en proie à un terrible pressentiment car la douleur continuait à torturer la pauvre Francine. Il la pria de se soumettre à un nouvel examen médical. Le scanner lui révéla une volumineuse tumeur cérébrale. Il vint à la conclusion que l’imagerie médicale des deux patients avait été intervertie. Il convoqua d’urgence Francine. La coupable inadvertance le mit grandement mal à l’aise. Aussi usa-t-il de circonlocutions pour lui dire d’une voix étouffée : « En examinant le nouveau scanner que je viens de faire passer à Loïc, je ne décèle aucune tumeur. Cependant, elle était bel et bien visible sur le scanner effectué quinze jours auparavant. Quelqu’un, sans qu’il le sache, souffre d’un cancer. » L’oncologue espérait que Francine en tirerait les conclusions. Toutefois, le déni de cancer la poussa à retarder, même si ce ne fut que de quelques secondes, l’annonce d’un diagnostic pénible à admettre. Aussi lui demanda-elle d’une voix chevrotante : « Si ce n’est pas moi, si ce n’est pas lui, c’est qui ?  Le médecin lui répondit d’une voix à peine audible : « Votre scanner et celui de Loïc ont été intervertis, il faut que vous soyez courageuse. » Sa réponse l’installa parmi les cancéreux se débattant dans le labyrinthe angoissant de l’insaisissable guérison.

          Le malheur de Francine libéra le sentiment qu’elle avait pour Océane. Elle l’aimait depuis le premier jour où leurs yeux s’étaient croisés. Les mirettes de sa collègue, d’un noir si profondément humain, l’attiraient irrésistiblement par leur bienveillance consolatrice. Vendredi, avant la Toussaint, elle colla un baiser sur la bouche d’Océane. Loïc, lui qui avait pourtant si peu embrassé, en fit de même ; la joie d’être bien-portant avait ouvert l’écluse. Océane prit ces effusions avec détachement ; elle s’imagina cependant que la France avait baisé sa négritude.

          Loïc était content, il avait réussi à programmer une fiction sur son ordinateur.

    David Frenkel