Ce documentaire de BHL qui raconte la lutte et le sacrifice ukrainiens au nom de la démocratie est la plus poignante exhortation à l’action de l’Europe. Voici un extrait de l'article de Nathan Devers paru hier, le 27 juin 2022 dans LA RÈGLE DU JEU 1)
...Mettons en lumière, poursuit Bernard-Henri Lévy, « l’archéologie du réflexe » qui pousse aujourd’hui le peuple ukrainien, chefs et civils mêlés, à résister sponte sua aux armées qui voulaient l’écraser. Montrons ce peuple tel qu’il est, debout dans la fragilité. Allons-y et mettons en lumière, de Kiev à Odessa, de Boutcha au Donbass, cette nuit qu’il traverse, cette aurore que son courage prépare.
On y voit donc la nuit. Bernard-Henri Lévy se rend à Andrivka, à Boutcha, à Borodyanka et, de ces cités martyres, il rapporte les mêmes images. Des villes rasées, urbicidées des sommets jusqu’au sol. Des immeubles qui, sous la mitraille, sont devenus des tombeaux de béton. Des petites maisons, sans aucune importance stratégique, réduites à l’état de cendres. A Irpin, une femme est encore traumatisée par les six semaines d’occupation qu’elle a passées blottie dans un container. Une autre raconte comment les troupes ont saccagé son appartement et les snipers ont abattu son voisin. Les crimes sont si nombreux qu’il y a des tombes partout. Dans les jardins et dans les garages. Creusées dans la hâte au rythme d’un deuil privé de son travail. Elles témoignent d’une chose : que cette guerre ne respecta aucun des principes du droit de la guerre, ni dans le jus ad bellum ni dans le jus in bello. Qu’elle s’apparente davantage à une pluie de mort, répandue indistinctement sur les civils et sur les soldats. ..
...Pourquoi l’Ukraine a commencé à être tourné, non en février 2022, mais en 2014, année où l’Ukraine souhaita s’émanciper de la tutelle dictatoriale et de l’Empire russe – pour devenir une démocratie d’Europe. Les images du Maïdan montrent que tout était joué dès le commencement : une foule de non-soldats et de citoyens libres qui, enterrant déjà ses morts, refusait d’ensevelir avec eux sa soif de faire peuple. Une révolution lucide, connaissant les périls de ce saut dans le vide que constitue l’entrée dans la démocratie, mais prête à les braver. Si bien que Pourquoi l’Ukraine déploie, du début à la fin, un sentiment paradoxal auprès du spectateur : si la plupart des scènes sont littéralement insoutenables, aucune n’est étonnante. Telle est la définition même des événements tragiques. Pourquoi l’Ukraine et pourquoi aujourd’hui ? Tout simplement parce que.
On y voit, en contre-nuit de cette tragédie, le sursaut de l’épique. Voici d’ailleurs le seul aspect imprévisible de toute cette histoire : le seul hapax, le seul clinamen. Comment, alors que les « spécialistes » annonçaient la reddition-éclair de l’Ukraine face au mastodonte russe, l’étrange défaite proclamée s’est muée, dès le premier jour, en une stupéfiante résistance. Cette métamorphose, que restitue Pourquoi l’Ukraine à mesure qu’il en filme les protagonistes, est d’abord l’œuvre d’un homme, Volodymyr Zelensky, dont Bernard-Henri Lévy retrace l’incroyable transformation. Cet acteur excellait dans l’art du divertissement, des facéties joyeuses, de l’ironie permanente – mais ce masque d’humour, au lieu de le plonger dans les affres de la superficialité, fut au contraire son armure à l’heure du tragique. En temps de paix, cet homme blaguait dans des conférences internationales, mêlait les registres du théâtral et du sincère, des séries télévisées et des meetings électoraux. La guerre survint. D’une seconde à l’autre, alors qu’il eût pu s’enfuir vers un exil luxueux comme le fit le président afghan en septembre 2021, il mobilisa ce capital de vie pour contre-écrire le fatum de l’Histoire. Et on ne peut pas ne pas se demander, en voyant le chapitre de Pourquoi l’Ukraine qui lui est consacré, si la figure de Zelensky ne cristallise pas, par sa complexité, l’esprit d’une civilisation qui, d’Oscar Wilde à Churchill, accède à la profondeur par les chemins de la légèreté...
1) https://laregledujeu.org/2022/06/27/38694/pourquoi-lukraine-de-bernard-henri-levy-sur-arte-nommer-ce-qui-na-pas-de-nom/