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UN PEU DE TOUT - Page 40

  • L'amour dans les mains d'un répondeur

    «Belle inconnue, bonjour ! Je vous ai aperçue il y a peu de temps. Je rentrais de mon travail entre chien et loup. Le train était bondé, et vous vous teniez à quelques pas de moi. Vous me paraissiez si sombre et si lumineuse à la fois. Je vous imaginais à travers vos cheveux d’ébène reflétant des brindilles d’amour calciné, mais je vous envisageais aussi à travers vos yeux de biche, d’un noir profond, diffusant une passion étoilée. Comme le soleil s’apprêtant à darder ses rayons sur la lune, votre fureur se préparait à percer l’ombre amoureuse lorsque vous avez sorti votre portable de votre sac. Sur un ton réprobateur, vous avez dit à votre interlocuteur qu’il ne fallait pas confondre le commerce et le cœur. Vous étiez prête à lui vendre votre voiture et lui avez demandé s’il était disposé à s’aligner sur votre prix. Puis, prenant une voix envoûtante, vous l'avez prié de vous donner de ses nouvelles en laissant un message sur votre répondeur, car vous partiez le soir même en vacances, et votre portable n’avait pas de boîte vocale. Lorsque je vous ai entendue lui donner le numéro de votre téléphone fixe, l’espoir de servir vos ardeurs vrombissait dans ma tête comme un essaim de cupidons. Je vous avais observée durant toute la conversation. Votre emportement faisait frémir sensuellement les narines de votre petit nez en trompette. Vos lèvres semblaient palpiter comme la fleur au creux de vos reins. Votre oreille ornait élégamment, tel qu'un col de dentelle, votre téléphone bleu. Votre main si délicieusement féminine relevait gracieusement une mèche rebelle s’agitant sous le vent coulis. Devant tant d’attraits, je désirais enfouir ma tête dans le creux de vos seins, et boire la sève montant de vos reins. Le courant d’un désir m’amène vers vous. Sans crainte d’échouer contre votre réprobation, je me laisse emporter comme un rêveur au fil de l’eau. Sachant que vous ne m’écoutez pas, ma présente déclaration flotte sur un espoir voluptueux qui s’évanouira ou prendra corps au fond de votre oreille. Rappelez-moi au plus vite au vingt, cent neuf, trente-et-un. Entendez aussi par là : mon appel n’aurait pas été vain, si du sang neuf me mettait sur mon trente et un. Votre beauté sanglote en moi, elle me fait trembler. Dans l’attente de votre coup de fil, la divinité que votre allure et votre expression inspirent m’aidera à traverser le couloir d’une attente interminable. Je ne sais si dans le chaudron de vos amours un autre amant bout déjà. Si tel devait être le cas, mes paroles galantes se consumeraient avec joie sur le couvercle de votre cœur en feu. De leurs cendres renaîtraient, j’en suis certain, d’autres mots enflammés échauffant alors l’amante à moi consacrée. Je ne vous embrasse pas car, vos appas ne m’entourant pas, mon baiser risque de ressembler à un amuse-bouche qui laisse le pique-assiette sur sa faim.»

    David Frenkel

    (Nouvelle publiée aussi sur le site De Plume en Plume)

  • Préférer la joie ? Pas quand le sang d'innocents a rougeoyé sur les stades !

    Alors que certains ont l’intention de se gaver d’un spectacle qui suinte du sang des 6500 miséreux qu’un régime despotique aux relents de l’or noir a sacrifié sur l’autel dressé dans les stades qataris, crions haro sur le jouissif vergogneux. Comment peut-on prendre plaisir aux images d’un multi-troupeau broutant les herbes footballistiques que vingt-deux sbires leur auront fait dévorer lorsque le sel des deuils et des souffrances rendent amer la nourriture jetée en pâture aux moutons de la communion médiatique. Bien des esprits doivent être entourés d’une chape de plomb pour que les yeux se murent dans la vacuité des sentiments. Que nos regards ne s’ouvrent donc pas à tout ce qui brille de loin mais qui s’assombrit de près. Voir aussi 

    https://www.i24news.tv/fr/actu/international/moyen-orient/1667034573-qatar-des-milliers-de-travailleurs-expulses-de-leurs-logements-avant-la-coupe-du-monde

    Et

    https://www.dreuz.info/2022/10/scandales-corruption-tout-ce-que-vous-voulez-savoir-sur-les-dessous-de-la-coupe-du-monde-au-qatar-mises-a-jour-regulieres-272916.html.

    Alors, pour une fois, en 2022, nous ne nous rendrons pas à la messe cathodique, célébrée dans les stades, ces églises modernes, ces temples du football dans lesquels on communie avec sa foi inébranlable lorsque des dieux tout en couleurs se battent pour un ballon tacheté. Sus aux ennemis voulant violer les pénates de onze preux. Les joutes remplacent les fêtes religieuses. La foule implore l’appui des jambes musclées afin qu’elles frappent un ballon diabolique, pour qu’elle terrasse par un goal magique l’adversaire, ce Satan d’un jour. L’arbitre est le diable ou l’ange suivant de quel côté on se range. L’imprécation siffle l’ardeur belliqueuse, le chant fouette le cœur des idoles. La balle fait rouler les cris d’un orgasme lorsqu’elle pénètre l’arrière-garde. La croix du martyr rend au vaincu sa vertu. Tête froide ne cherche pas l’homme : sa grandeur s’échappe par les trous du chauvin, son esprit est recouvert d’un drapeau. Les individus gomment bien des différences quand ils évoquent les « allez, hop ! » Le vainqueur a pu compter sur les poteaux : le ballon a touché du bois. Le perdant allonge sur le gazon sa peine; ses pleurs n’éteignent pas le feu de son enfer. L’objet tant convoité est du mauvais côté; la souffrance est clouée sur un ballon; la joie tourne en boucle autour d’un succès. Quand la clameur se tait, quand la déception s’évapore, la foule exhorte les pères du ballon de servir derechef la messe du football.

    David Frenkel

     

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  • Ô défunts, levez-vous !

    L’automne plombe le ciel ;

    La chape de plomb s’étale,

    Recouvrant le ciel opale ;

    Le jour, rayons livides,

    D’une face automnale

    Grisaille les humeurs

    Coulant d’une terre attristée,

    Ternit les humeurs

    Tombant d’une tête ombrageuse ;

    L’automne célèbre les morts.

    Le lumignon d’un sourire céleste

    Éclaircit par moment la destinée funeste.

    La mort crie sous les ailes grises d’un oiseau,

    Et les cils d’une paupière d’automne

    Battent la lueur d’un fragile flambeau.

     

    Mais en méditerranée,

    Le cyprès toute l’année éclaire la mort ;

    Il fait briller la prunelle

    Perdue dans la nuit éternelle.

    Maints doigts verts d’une plante de cimetière

    Verdissent la pâleur qui plombe

    Des visages familiers ;

    Le deuil surplombe leur esprit.

    Le cyprès, fusée verdâtre,

    Propulse leurs pleurs vers les cieux

    Et dégage cette quiète verdeur

    Qui rassérène les hiboux

    Au pied de l’automne.

    Les écailles du cyprès,

    Les tenailles d’une illusion,

    Semblent verdir les morts

    Plongés dans l’obscurité,

    Semblent couvrir le hululement

    D’une verte musique.

    C’est la ritournelle d’un arbre

    Annonçant aux morts

    L’air de la Toussaint.

    Ô défunts, levez-vous,

    La messe du souvenir

    Célèbre l’automne,

    Le printemps de vos nuits.

    David Frenkel (Publié aussi sur le site De Plume en Plume)