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UN PEU DE TOUT - Page 18

  • Femme d'ici et d'ailleurs

    Loïc, un Breton de sixième génération, était entré en informatique comme on entre dans les ordres. Lui aussi avait prononcé les trois vœux, à savoir : obéissance, chasteté et pauvreté. Il se pliait sans cesse à la volonté binaire d’une machine. Entièrement dévoué à la rationalité programmée, la volupté hasardeuse ne l’intéressait guère. Si le fruit de son labeur avait une forme rondelette, l’esprit de cet homme était, pour le moins, un cube de misère. Un jour, Loïc fut en proie à des douleurs lancinantes ; n’y tenant plus, il se rendit au service des urgences d’un hôpital. Les examens révélèrent la présence d’une tumeur dans le cerveau. Lorsque le médecin lui en fit part, la voix lui parvint ouatée, tant l’angoisse bourdonnait dans ses oreilles. Saisi par l’effroi, il s’évanouit. Lorsqu’il reprit connaissance, deux infirmières l’entouraient, une Parisienne et une Martiniquaise.

     

          Elle s’appelait Océane et avait un visage d’ange mais un physique ingrat. Elle naquit en France mais avait gardé son passeport martiniquais. Ses grands-parents avaient quitté la Martinique après l’éruption volcanique de mille neuf cent deux. Ils étaient en train de se baigner dans une rivière lorsque la nuée ardente déferla sur la ville, saccageant tout sur son passage. C’est ainsi qu’ils eurent la vie sauve. Après la catastrophe, ils avaient décidé de se rendre en Métropole pour y refaire leur vie et s’étaient établis en Alsace. Océane était une personne soumise. Elle portait l’esclavage de ses ancêtres, et avec lui, une révolte étouffée par la couleur de sa peau. On avait beau la traiter de négresse, elle ne bronchait pas. Cependant, en filant le parfait amour auprès d’un Congolais, elle prit de l’assurance et ne se laissait plus injurier.

     

          Les préjugés à son égard la poussaient à se faire une place dans la société. Fille intelligente, elle obtint son diplôme d’infirmière en noircissant une feuille blanche avec des bonnes réponses. L’allégement des souffrances d’autrui lui servait d’intégration sociale et mettait du baume sur les plaies saignant encore sous le poids de maintes offenses.

     

          Francine était française de souche, avait des formes gracieuses mais un visage aux traits grossiers. Son père était un homme politique qui avait perverti son idéal altruiste en se mettant au service d’une ambition opportuniste. Sa mère, veuve d’un premier époux, au bénéfice d’un douaire, cultivait le m’as-tu-vu et évoluait dans un milieu où la richesse permettait de mettre à nu la niaiserie des parvenus. Francine désirait prendre le contre-pied de cette société dans lequel profession rimait avec possession, elle voulait exercer un métier au service de son prochain, où l’argent ne tiendrait pas le premier rôle. Elle décida de devenir infirmière. Il lui semblait que cette profession l’élevait aux premières charges; cela la consolait des déconvenues amoureuses. Certains messieurs la prenant, lorsqu’ils avaient faim, pour un amour cinq étoiles, se délectaient de ses appas. Mais aussitôt sortis du lit, lorsque l’ardeur prenait de la hauteur, ils la laissaient en plan. Le visage de Francine ne les incitait guère à se pavaner avec elle au grand jour et en public. Le contraste entre son corps fait au moule et son visage difforme n’avait même pour l’amour pas de solution. Pourtant, son mal de tête en avait une. Le scanner crânien, fait peu avant celui de Loïc, ne révélant aucune tumeur, ses douleurs pouvaient être traitées médicalement.

     

          Les deux jeunes femmes, diplôme en poche, avaient été affectées au service de réanimation. Elles avaient le même âge. Si leur condition amoureuse les séparait, le pieux dévouement les unissait.

     

    – Ca va, Monsieur ? demanda Océane.

    – Comme un homme qui se voit mourir, répondit Loïc d’une voix implorante.       Devant lui, le visage d’ange de la jeune femme lui donnait envie de prier.

    – Allez, ressaisissez-vous, Monsieur, tonna Francine ; tant que votre cœur bat, vous n’avez pas le droit d’abdiquer, ajouta-t-elle d’une voix de maîtresse d’école en se penchant vers lui.

    – Oui, je vous le promets, dit-il cette fois haut et fort. La poitrine pleine de Francine avait fortifié sa voix.

    – Venez nous voir une fois par semaine, le vendredi en fin de journée, nous vous

        attendrons, Francine et moi, jusqu’à dix-neuf heures, ajouta Océane.

     

          L'homme fit un rêve merveilleux. Sa tête reposant sur les cambrures de Francine, il vit le sourire d’Océane déchirer la camarde.

     

          Loïc ne pouvait se résoudre à suivre un traitement qui allait changer sa personne. Il voulait rester lui-même jusqu’à la fin de ses jours. Si l’héroïque soldat désire mourir les armes à la main, pourquoi lui, le vaillant programmeur, ne pouvait-il pas expirer la souris dans la main ? s’interrogea-t-il. L’oncologue lui demanda s’il était alors d’accord de se laisser régulièrement radiographier pour suivre l’évolution de sa maladie ; cela pourrait servir aux étudiants en médecine. Il acquiesça.

     

          Quinze jours s’écoulèrent. L’oncologue en examinant le scanner que Loïc venait de passer était estomaqué : il n’y avait aucune trace de tumeur. Il était en proie à un terrible pressentiment car la douleur continuait à torturer la pauvre Francine. Il la pria de se soumettre à un nouvel examen médical. Le scanner lui révéla une volumineuse tumeur cérébrale. Il vint à la conclusion que l’imagerie médicale des deux patients avait été intervertie. Il convoqua d’urgence Francine. La coupable inadvertance le mit grandement mal à l’aise. Aussi usa-t-il de circonlocutions pour lui dire d’une voix étouffée : « En examinant le nouveau scanner que je viens de faire passer à Loïc, je ne décèle aucune tumeur. Cependant, elle était bel et bien visible sur le scanner effectué quinze jours auparavant. Quelqu’un, sans qu’il le sache, souffre d’un cancer. » L’oncologue espérait que Francine en tirerait les conclusions. Toutefois, le déni de cancer la poussa à retarder, même si ce ne fut que de quelques secondes, l’annonce d’un diagnostic pénible à admettre. Aussi lui demanda-elle d’une voix chevrotante : « Si ce n’est pas moi, si ce n’est pas lui, c’est qui ?  Le médecin lui répondit d’une voix à peine audible : « Votre scanner et celui de Loïc ont été intervertis, il faut que vous soyez courageuse. » Sa réponse l’installa parmi les cancéreux se débattant dans le labyrinthe angoissant de l’insaisissable guérison.

     

          Le malheur de Francine libéra le sentiment qu’elle avait pour Océane. Elle l’aimait depuis le premier jour où leurs yeux s’étaient croisés. Les mirettes de sa collègue, d’un noir si profondément humain, l’attiraient irrésistiblement par leur bienveillance consolatrice. Vendredi, avant la Toussaint, elle colla un baiser sur la bouche d’Océane. Loïc, lui qui avait pourtant si peu embrassé, en fit de même ; la joie d’être bien-portant avait ouvert l’écluse. Océane prit ces effusions avec détachement ; elle s’imagina cependant que la France avait baisé sa négritude.

     

          Loïc était content, il avait réussi à programmer une fiction sur son ordinateur.

    David Frenkel

  • Les écrits ne s'évaporent pas

    En haut du Mont Parnasse

    La poésie imagine

    Les sommets improbables

    Qu’atteindrai le poète

    En quête d’un ailleurs

    Où le pire et le meilleur

    S’épanchent en vers allusifs

    Il ne suffit que d’une plume

    Pour rendre le poème expressif

     

    Un roman qui végète

    Dans les entrailles de l’esprit

    Fleurit sur une plume

    Au printemps inspiré

    Par le verbe succulent

    De la langue de Molière

    Tant de formulations roses

    Vont embellir la feuille blanche

     

    Sur les tourments de l’humain

    La solitude empathique

    Se transforme en amie

    Dictant maintes et maintes proses

    Permettant à l’écrivain

    De faire asseoir sa douleur

    Sur les articulations muettes

    Au dos de la libération

     

    Le livre qui enveloppe

    De flots de félicité

    l’ego du maître d’œuvre

    Le submerge délicieusement

    Dans cette eau éternelle

    Qui mouillera l’ouvrage

    De fièvre talentueuse

    Embrasant d’innombrables yeux

     

    Les écrits ne s’évaporent pas

    Dans les limbes de l’oubli

    Ils gisent dans la demeure

    Artistique de l’humanité

    David Frenkel

     

  • La tulipe humaine

    Les relents du mépris

    Empuantissent l’homme hors norme

    Sociétal et esthétique

    Enseveli sous la pestilence

    De la morgue glaciale

    Il gît dans le cercueil

    De l’existence publique

    La tempête nauséabonde

    Emporte l’homme méprisé

     

    La liberté exhale

    Un parfum qui enivre

    Les pensées enfermées

    Dans la chape de plomb

    Du totalitarisme

    Des dirigeants égotiques

    Parfumé de liberté

    L’esprit expire la fragrance

    De la libération

    Annihilant la puanteur

    Sortant des têtes despotiques

     

    Dans l’abîme solitaire

    Seule la nuit éternelle

    Aux étoiles amicales

    Aspireront la solitude

    Empuanti par le regard

    Qu’autrui pose sur lui

     

    L’effluve bienveillante

    D’une tulipe humaine

    Imprègne tendrement

    La solitude fétide

    Empestant l’existence

    D’un homme mis au rebut

    Sous le parfum enjoliveur

    Éclot l’exaltation

    D’un homme aromatisé

    Aux magnificences généreuses

    David Frenkel