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Les persécutions des juifs en Allemagne II (tiré de wikipedia)

Si les Juifs se sentent des Allemands à part entière, ils sont perçus par certains de leurs compatriotes comme un corps étranger à la nation. Ils sont devenus des citoyens du Reich, pas des membres du Volk allemand. De plus, l'antisémitisme devient un code culturel nécessaire à la définition d’une identité allemande problématique faute de mythes nationaux s'ancrant dans les valeurs libérales et modernes comme en France.

L’achèvement de l'unité allemande sous l’égide du militarisme prussien a comme corollaire le culte de l’Allemagne ancestrale et aristocratique. Cela rentre en opposition avec la modernité et plus particulièrement avec la modernité juive68. L’équation « Juifs = cosmopolitisme » devient un des traits permanents de l’antisémitisme. Le Juif est identifié à la mobilité de l’argent et de la finance, le cosmopolitisme et l’universalisme abstrait, le droit international et la culture urbaine « métissée ». L’Allemand, en revanche, est présenté comme enraciné dans la terre, créant sa richesse par le travail et non pas grâce à des opérations financières. Il possède une culture exprimant un génie national68.

Heinrich von Treitschkerich von Treitschke, un des intellectuels les plus respectés de l'Allemagne bismarckienne, illustre bien les « réticences » vis-à-vis des Juifs allemands. Fervent partisan de l'émancipation des Juifs, il doute de la capacité des Juifs à se fondre dans la nation allemande83 et refuse pour l'Allemagne une ère de métissage culturel judéo-allemand dans un article publié dans les Preussische Jahrbücher de novembre 1879. Cet article déclenche une violente controverse qui débute à l'Université de Berlin vers 1880. Theodor Mommsen, collègue de Treitschke à l'université de Berlin, considère que les principes libéraux et l'État de droit sont au-dessus des principes de la « nation allemande »84.

Au milieu du XIXe siècle se met en place la forme moderne de rejet qui n'est pas d'ordre religieux ou socio-économique, mais d'ordre pseudo-scientifique. L'antisémitisme pseudo-scientifique établit des hiérarchies entre les races, idéalise l'aryen et fait du sémite un être affligé des signes visibles de son infériorité. Ces thèses sont très présentes en France (Paul Broca, Joseph Gobineau) et au Royaume-Uni (Herbert Spencer et Francis Galton). En Allemagne, elles sont exposées par Ernst Haeckel. Cet antisémitisme raciste trouve d'ardents défenseurs en Allemagne21.

À partir du milieu des années 1870, l'Europe est secouée par une grave crise économique, la Grande Dépression. Les difficultés économiques alimentent un antisémitisme anti-libéral et nationaliste. Dans tous les domaines de la vie politique et sociale, l'esprit libéral recule. Le vieil antisémitisme basé sur les préjugés religieux et économiques reste vivace mais il est renforcé par l'antisémitisme moderne à base pseudo-scientifique. On a donné à la multitude de mouvements antisémites de l'époque le nom de Berliner Bewegung. Ils sont en partie instrumentalisés par Bismarck qui voit en eux des alliés contre la montée du libéralisme politique. Wilhelm Marr, un journaliste allemand, écrit un pamphlet en 1879 : La victoire du judaïsme sur la germanité considérée d'un point de vue non confessionnel. Il y emploie pour la première fois le terme « antisémitisme ». Il affirme que les Juifs appartiennent à une race inférieure. Le nouvel antisémitisme accuse le Juif d'insuffler « sa substance étrangère ». Il s'en prend au Juif non pas à cause de sa religion mais en tant que « race ». Il dénonce une société « enjuivée », un « anéantissement de Germains »85 Ce nouveau concept, l'antisémitisme, connaît un succès rapide. Il canalise l'agressivité des mécontents contre une minorité longtemps discriminée. Il se conjugue avec la montée du nationalisme. En effet, les Allemands sont séduits par l'impérialisme conquérant et l'autoritarisme de l’époque wilhelmienne, alors que les Juifs restent fidèles aux idéaux libéraux et démocratiques du début du siècle86.

 
Annonce de l'Association centrale des citoyens allemands de confession juive, v. 1925

Le , la pétition antisémite signée par 250 000 personnes réclame au chancelier de l'Empire allemand, Bismarck, le retrait des mesures d'émancipation des Juifs et l'interdiction de toute immigration nouvelle10. L'antisémitisme moderne a comme chef de file Adolf Stöcker, un pasteur prédicateur à la cour impériale, qui a fondé le Parti ouvrier chrétien-social87. Son programme dénonce la domination des juifs sur la presse et la finance. Il fait des Juifs les responsables des malheurs de l'Allemagne. Les ligues antisémites se multiplient ainsi que les brochures les propageant. En 1893, seize députés appartenant à l'Antisemitische Volkspartei fondé par Otto Böckel sont élus au Reichstag. Leur programme réclame l'exclusion des Juifs de la fonction publique et de l'enseignement. Les pangermanistes allemands tiennent des discours similaires21. En réaction à cet antisémitisme virulent, la Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens (l'Association des citoyens allemands de confession juive) est fondée en 1893 pour défendre les intérêts des Juifs allemands. Seul le Parti socialiste SPD a des députés Juifs dans ses rangs, ce qui lui vaut l'hostilité des antisémites88. La reprise économique à la fin des années 1890 marque un reflux de l'antisémitisme.

L'armée est une des institutions où l'antisémitisme grandit. Il est très difficile pour un Juif d'y faire une carrière brillante. En 1907, sur les 33 607 officiers que compte l'armée allemande, il n'y a que 16 Juifs qui servent tous dans l'armée bavaroise. Les Einjährig-Freiwillige sont des écoles militaires accueillant des jeunes Allemands ayant reçu une formation supérieure. Après une année de service militaire, les anciens élèves deviennent officiers de réserve. Or aucun des 30 000 Juifs qui ont intégré cette école à partir de 1880 n'est devenu officier de réserve. L'armée prussienne est la plus discriminante46.

A suivre

10) Gérard Nahon, Histoire du peuple juif, Encyclopædia Universalis, DVD, 2007

21) Esther Benbassa, « Antisémitisme », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007

46) Michael Berger, « Iron cross and star of David, the jews in the german armies » [archive], sur trafoberlin.de (consulté le 5 avril 2008)

68) Enzo Traverso, « Cosmopolitisme et transferts culturels, le cas des Juifs allemands » [archive], sur revue-de-synthese.eu (consulté le 17 avril 2008)

83) Helmut Berding, p. 104

84) Helmut Berding, p. 105

85) Lionel Richard, Nazisme et barbarie, Éditions Complexe, 2006, p. 29

87) Roland Charpiot, Histoire des Juifs d'Allemagne du Moyen Âge à nos jours, Vuibert, 2009, p. 108.

88) Roland Charpiot, Histoire des Juifs d'Allemagne du Moyen Âge à nos jours, Vuibert, 2009, p. 119 et 120.

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